Faire de son mieux ?
Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce que signifiait réellement « faire de mon mieux ».
Pendant longtemps, je pensais que faire de MON mieux c’était faire LE maximum. Pas MON maximum, mais LE maximum. Est-ce que vous distinguez la différence ?
Pour moi ça n’a vraiment pas été évident pendant de très nombreuses années de la saisir, cette différence.
Je me suis souvent mal jugée de ne pas avoir fait LE maximum parce qu’il pouvait toujours y avoir mieux. Et ces jugements étaient surtout en termes de réaction émotionnelle : de stress, de réaction face à un évènement ou une personne.
Combien de fois est-ce que vous vous auto-critiquez de la manière dont vous avez réagi ? Ou au contraire pas réagit dans une situation ? Combien de fois vous vous dites que vous êtes trop sensible ? Que vous ne savez pas prendre du recul ? Qu’il faudrait lâcher-prise ? Que vous stressez trop ou que vous ne savez pas gérer vos émotions ? Combien de fois vous critiquez-vous ?
Quand on se dit qu’on aurait pu faire plus, mieux, c’est souvent qu’on pense qu’on n’a pas fait LE maximum? Ce qui n’est pas SON maximum. Et la nuance est importante !
Quand on parle de faire LE maximum, de quoi parle-t-on exactement ?
Le maximum par rapport à quoi ? Quel est le critère pour pouvoir dire que c’est LE MAX ? Elle est où la limite ? C’est comme courir un sprint sans savoir où est la ligne d’arrivée ou pire, de la voire reculer au fur et à mesure où on s’en rapproche. Ou de voir la montagne devenir de plus en plus haute au fur et à mesure ou on la gravit. Vous voyez l’idée ?
Lorsqu’on se donne ce genre d’injonction, de faire LE maximum, c’est la voie royale pour aller au bout du bout du bout de ses limites. De les dépasser même. Et d’aller à l’épuisement.
De la perception à la réaction
Nous ne stressons pas pour les mêmes raisons, nous ne réagissons pas de la même manière face à une même situation.
De la perception que nous avons d’une situation, à la réaction que nous avons face à cette situation, il y a tout un tas de processus, de connexions qui se passent sans qu’on en ait conscience.
Heureusement que notre cerveau sait faire ça tout seul, parce que :
– D’une part, on risquerait notre peau bien trop souvent, si face à un danger, on devait analyser si c’est bien un danger réel ou non.
– D’autre part, on deviendrait complètement dingue, si on devait consciemment choisir qu’elles informations prendre en compte et analyser chacune d’elles, à chaque instant. Et on n’aurait plus le temps ni l’énergie de faire autre chose.
Alors, heureusement que notre système apprend et fonctionne de manière automatique.
Mais si c’est le même fonctionnement humain pour tout le monde, pourquoi est-ce différent d’une personne à une autre ?
Déjà, nous percevons notre environnement avec nos sens. Nous n’avons pas la même acuité visuelle ou auditive. Nous pouvons avoir un odorat plus ou moins développé, une sensibilité à la température différente. Sans parler de la proprioception (perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps) ou de l’intéroception (perception des sensations corporelles et de l’état interne du corps). Aussi, chaque individu ne perçoit pas les mêmes informations.
Ensuite, nous disposons de tout un tas de filtres : physiologiques et neurologiques, mais aussi des filtres culturels et sociétaux, des filtres personnels liés à nos expériences et à nos vécus. Ainsi, notre attention se porte sur des éléments différents et nos interprétations sont différentes aussi.
Des réactions automatiques et inconscientes
C’est tout ce traitement automatique et inconscient qui donne lieu à nos réactions émotionnelles, cognitives et comportementales face aux situations, comme la réaction de stress, la peur, l’anxiété.
Plus particulièrement, ça se passe dans le cerveau. Et plus particulièrement, au niveau de l’amygdale, impliquée dans l’attribution d’une valeur positive ou négative à des événements vécus, de manière à pouvoir y répondre par une réaction émotionnelle et un comportement, appropriés.
L’amygdale reçoit constamment des informations sensorielles et les évaluent. Sa fonction essentielle est de décoder les stimuli qui pourraient être menaçants pour l’organisme.
Elle fonctionne comme un système d’alerte car lorsque ces informations sont analysées comme dangereuses pour l’organisme, il y a activation des voies qui génèrent des réponses du système endocrinien, du système nerveux autonome et des voies somatomotrices associées aux émotions, pour nous faire réagir face au danger.
Ce qui permet de réguler nos émotions, et notamment cette réaction de peur, c’est le cortex cérébral. Il va analyser également les informations et va maintenir ou freiner l’action de l’amygdale sur les structures cérébrales responsables de l’expression physiologiques de la peur.
Voici comment cela fonctionne :
Vous vous promenez en forêt et voyez quelque chose au sol que vous prenez pour un serpent. Dans votre cerveau, la voie courte par l’amygdale active une réponse instantanée de sursaut et de recul de frayeur. La voie longue amène l’information au cortex. S’il s’agit bien d’un serpent, le cortex renforce l’action de l’amygdale et maintient les réponses corporelles. En revanche, s’il s’agit d’un bout de bois, l’action de l’amygdale est freinée et les réponses corporelles s’estompent.
Vous êtes bien d’accord qu’il vaut mieux prendre un bout de bois pour un serpent et agir en conséquence plutôt que de risquer de prendre un serpent pour un simple bout de bois.
Et pourtant, il arrive que nous nous jugions d’avoir eu peur d’une branche morte…
Cerveau immature et fenêtre de tolérance
Pour que le cerveau fonctionne de cette manière, il doit se développer. En effet, en tant qu’être humain, nous naissons avec un cerveau immature. Il se développe jusqu’à l’âge d’environ 25 ans… Imaginer une gestation de 25 ans !
Nous ne savons pas, à la naissance, réguler nos émotions.
Et oui, la régulation émotionnelle ça s’apprend. Mais on n’a pas de cours d’émotions à l’école.
Ce qu’il faut savoir, c’est que nous avons, une fenêtre de tolérance. La fenêtre de tolérance, c’est un seuil haut et un seuil bas, entre lesquels le cerveau est en mesure de réguler la variation d’intensité des émotions. Si l’intensité est trop importante, on sort de la fenêtre de tolérance, le cerveau de peut plus traiter les informations, l’émotion et si ça dure trop longtemps, il y a traumatisme.
C’est un peu comme les seuils d’un détecteur. Si le seuil haut de la fenêtre est atteint, alors on est totalement débordé par ses émotions. Si c’est le seuil bas qui est atteint, on se coupe de ses émotions et de ses ressentis.
Nous n’avons pas tous la même fenêtre de tolérance. Sa taille serait déterminée pour 20 à 30% par la génétique. Le reste, provient de notre environnement.
Autrement dit, ces circuits de régulations émotionnels se construisent jusqu’à nos 25 ans, et clairement, durant toutes ces années, on vit pas mal de choses.
Les relations, les environnements, les évènements, la culture, les habitudes, l’éducation, les croyances, etc., tout peut avoir une influence sur ce développement cérébral et en particulier sur ce système de régulation émotionnelle. Plus il y a eu de traumatismes et plus la fenêtre est petite, c’est-à-dire que le seul de détection de la menace est bas, plus il est sensible.
Il arrive ainsi que ce système soit déréglé. Comme un détecteur de fumée qui se déclencherait même avec la vapeur de l’eau des pâtes ou au contraire qui ne se déclencherait qu’une fois le feu juste en dessous.
La régulation émotionnelle s’apprend
Il y a une bonne nouvelle !
Longtemps, les scientifiques ont cru qu’à partir de 25 ans, le cerveau commençait à perdre ses neurones. Mais aujourd’hui, on sait que c’est faux et que la plasticité cérébrale, c’est-à-dire, la faculté du cerveau à récupérer et à se restructurer, notamment après un traumatisme, existe.
Comme toutes les autres compétences, la capacité « plastique » du cerveau est modifiée par le vieillissement normal du cerveau. Oui, l’apprentissage peut être plus long et fatiguant avec l’âge, mais la plasticité cérébrale est présente jusqu’à la fin de la vie.
La régulation émotionnelle peut donc s’apprendre à tout âge.
C’est quoi la régulation émotionnelle ?
La régulation émotionnelle est la capacité à modifier l’intensité ou la qualité, d’une réponse émotionnelle face à un stimulus. C’est lié à la fenêtre de tolérance. En effet, la régulation émotionnelle c’est rester dans sa fenêtre de tolérance.
En apprenant à réguler ses émotions, on a des émotions plus stables, qui restent dans la fenêtre de tolérance. Car d’une part, on agrandit sa fenêtre de tolérance et d’autre part, on sait les y ramener.
Et pour cela, il faut de la répétition. C’est un apprentissage, il faut du temps.
Et la progression n’est pas forcément linéaire.
C’est quoi progresser ?
J’ai vu un petit dessin qui illustrait bien comment il est possible de progresser :
Il y a trois lignes avec chacune six petits cercles, dans chaque petit cercle, ce qui représente un niveau d’eau.
Sur la première ligne, le niveau d’eau dans les petits cercles augmente de manière régulière. Avec la légende : « Ça c’est progresser »
Sur la deuxième ligne, les deux premiers cercles sont très peu remplis, puis un peut plus pour les deux suivants et enfin plus pour les deux derniers. Avec cette légende : « Ça aussi c’est progresser »
Et enfin, sur la troisième ligne : le premier cerlce est quasi vide. Le deuxième rempli à plus de la moitié, le troisième de nouveau quasi vide, plus le niveau fluctue encore sur les deux suivants et enfin le sixième est plus rempli. Et la légende : « Et ça aussi. »
Chacun.e à son rythme
Quand on a des difficultés de régulation émotionnelles. Que c’est là depuis longtemps. Que peut être même c’est dû à des traumatismes. Eh bien ça peut prendre du temps. D’apprendre, de construire d’autres connexions neuronales. Parfois on a des améliorations rapides, parfois on peut avoir l’impression de repartir en arrière et à d’autres moments la progression est plus lente.
Et puis, on continue de vivre et a rencontrer tout un tas du situations auxquelles nous réagissons et c’est normal d’avoir des émotions. De ressentir des choses.
Là où c’est un problème, c’est si vous en souffrez.
Quelques chiffres sur la santé mentale
Dans la première édition française du manuel des Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM), on peut lire qu’une enquête épidémiologique européenne, sur la santé mentale et le bien-être mental, réalisée dans 30 pays différents a révélé que :
Plus d’une personne sur quatre (27,1%) avait souffert d’un trouble psychique courant (comme les troubles anxieux, dépressifs ou liés à l’utilisation d’une substance) à un moment donné au cours des 12 mois précédents.
Ces 27,1% sont répartis comme suit : 14% de troubles anxieux, 7,8% de troubles dépressifs et bipolaires, 4,6% de troubles liés à l’utilisation d’une substance (dont 3,4% de dépendance à l’alcool) et 1,2% de troubles psychotiques dont la schizophrénie.
Cela signifie qu’un européen sur 4, âgé de 16 à 85 ans, souffre chaque année d’un trouble psychique courant, ce qui représente 118 millions de personnes.
Cette première édition date de 2019, les chiffres sont ceux d’une étude de 2010. Donc avant le Covid. Des études plus récentes semblent indiquer que ces chiffres ont plutôt tendance à augmenter.
Par exemple, sur le site Santé Publique France on peut lire : ‘les 18-24 ans étaient 20,8 % à être concernés par la dépression en 2021, contre 11,7 % en 2017.’
De même, dans le document de synthèse du bilan de la feuille de route de MonParcoursPsy – État d’avancement au 3 mars 2023, on peut lire ‘Au mois de décembre 2022 (vague 36 de l’enquête COVIPREV de Santé publique France du 5 au 9 décembre 2022), un tiers des personnes interrogées présentaient un état anxieux ou dépressif (…)’.
Dans le manuel des Premiers Secours en Santé Mentals (PSSM), on peut lire aussi que sur ces personnes qui souffrent d’un trouble psychique courant, il y en a que 32,6% qui ont eu bénéficié de l’aide de professionnels de santé et en France il y a environ 3 personnes sur 10 touchées par un trouble dépressif qui n’ont recours à aucun soin.
Parce que parfois, même si on souffre beaucoup, on est capable de contrôler, de donner le change, même de faire du déni sur nos difficultés réelles…
Car on se juge, on se compare… La souffrance est personnelle. Elle est légitime. Il n’y a pas plus de raison valable qu’une autre de souffrir.
Face au stress, à l’anxiété, aux émotions, nous faisons toujours de notre mieux
‘Il n’y a rien à réussir, il n’y a qu’à agir de notre mieux. Puis lâcher tout cela, pour respirer, sourire, et vivre.’
Christophe André
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