Lâcher-prise et tortue de mer
Pour commencer, voici un extrait du livre « Le café du bout du monde » de John P. Strelecky.
J’ai connu ce livre sous le titre « le why café » il y a de nombreuses années et j’ai déjà partagé cet extrait dans un ancien article. Mais ayant prêté mon exemplaire du livre, il y a longtemps, et ne l’ayant jamais récupéré, je n’avais trouvé alors qu’une version approximative sur internet. Je viens enfin de trouver le livre, à la bibliothèque près de chez moi, et je ne résiste pas à l’envie de le partager de nouveau aujourd’hui :
‘Je faisais de la plongée avec un masque et un tuba au large des côtes d’Hawaï. C’était une journée spectaculaire, car j’avais vu une murène tachetée et un poulpe pour la première fois de ma vie. Il y avait aussi des milliers de poissons de toutes les couleurs, du bleu néon le plus vif jusqu’aux plus profondes nuances de rouge.
J’étais à une trentaine de mètres de la plage, occupée à plonger et entre de gros rochers quand, sur ma droite, j’ai aperçu une grosse tortue de mer verte qui nageait à côté de moi. C’était la première fois que j’en voyais une en liberté ; j’étais folle de joie. Je suis revenue à la surface, j’ai vidé mon tuba, et je me suis mise à flotter à la surface de l’eau pour la contempler.
Quand je baissais les yeux, elle était là, à quelques mètres en dessous de moi, nageant vers le large. J’ai décidé de la suivre afin de pouvoir l’observer. A ma grande surprise, je ne suis pas arrivé à me maintenir à sa hauteur. Ses mouvements semblaient lents, pourtant : elle flottait dans l’eau, remuant de temps en temps ses nageoires… Je portais des palmes, ce qui me donnait une force de propulsion supplémentaire, et je n’avais ni gilet de sauvetage ni quoi que ce soit qui puisse me ralentir. Mais malgré tous mes efforts, peu à peu, elle s’éloignait de moi.
Au bout d’environ dix minutes, elle avait disparu. Fatiguée, déçue et un peu gênée d’avoir été semée par une tortue, j’ai fait demi-tour et j’ai nagé jusqu’au rivage.
Le lendemain, je suis revenue au même endroit dans l’espoir de voir d’autres tortues. Et en effet, une demi-heure environ après être entrée dans l’eau, en me retournant pour observer un banc de petits poissons jaune et noir, je suis tombée sur une autre tortue de mer. Je l’ai observé un moment qui barbotait parmi les coraux. Quand elle s’est éloignée du rivage, j’ai tenté de la suivre. De nouveau, j’ai été étonnée de constater que je n’y parvenais pas. Quand j’ai réalisé qu’elle me dépassait, j’ai arrêté de nager ; je me suis contentée de flotter en l’observant. C’est là qu’elle m’a transmis cette leçon de vie qui a tant compté pour moi.
(…) Eh bien, alors que je flottais à la surface, j’ai réalisé que la tortue synchronisait ses mouvements avec les mouvements de l’eau. Lorsqu’une vague se dirigeait vers le rivage en la frappant de front, la tortue flottait en remuant juste assez ses nageoires pour maintenir sa position. Quand l’attraction exercée par la vague repartait vers l’océan, elle se mettait à nager plus vite pour utiliser le mouvement de l’eau à son avantage.
La tortue ne s’opposait jamais à la force des vagues, bien au contraire, elle s’en servait. Je n’étais pas arrivée à rester à sa hauteur parce que je nageais tout le temps, quelle que soit la direction des vagues. Au début, ce n’était pas un problème, j’avais même parfois été obligée de ralentir. Mais plus je luttais contre le ressac, plus je me fatiguais. Et quand la vague repartait vers le large, je n’avais plus assez d’énergie pour en profiter.
Au fur et à mesure que les vagues déferlaient et se retiraient, je me fatiguais de plus en plus, et j’étais de moins en moins efficace. La tortue, elle, continuait à optimiser ses mouvements en les harmonisant avec ceux de l’eau. C’est pour cette raison qu’elle nageait plus vite que moi.’
Le café du bout du monde, John P. Strelecky
Cesser de nager contre le courant
C’est après avoir lu cet extrait que j’ai commencé à approcher la notion de lâcher-prise et de ce que pouvait signifier. Parce qu’avant cette lecture, le concept de lâcher-prise était pour moi une hérésie. Et quand on me disait qu’il fallait que je lâche prise, je ressentais de l’agacement.
Parce que, je pensais que cela signifiait de renoncer ou d’abandonner ce qui était important pour moi.
Résultat, je ne lâchais jamais prise, j’étais très stressée et épuisée.
Pour en revenir à l’extrait du livre, cette métaphore, de ‘cesser de nager contre le courant‘, est pour moi une très bonne définition du lâcher-prise.
Premièrement, si on s’intéresse aux mots et à leur sens, les prises, en escalade, ce sont les saillies ou les creux que la personne, en pleine ascension, utilise pour s’appuyer ou pour s’agripper et ne pas tomber. Alors, lâchez la prise, c’est normal que cela ne fasse pas envie. Surtout quand on a tendance à vouloir contrôler les choses.
Deuxièmement, parce que ça m’évoque une notion de résistance.
Quand on en vient à se dire qu’il faudrait lâcher-prise, qu’il ‘faut que je prenne du recul’, ‘il faut que je sois plus détaché.e.’, ‘il faut que je relativise’, mais ‘je n’y arrive pas’. C’est bien qu’on sent qu’il y a quelque chose, en nous, qui nous empêche de le faire, malgré la conscience que ‘là ce n’est plus possible, il faut faire quelque chose’ et que la seule volonté ne suffit pas.
Autrement, on ne se prendrait pas la tête à se répéter qu’on ‘a besoin de lâcher-prise’. On le déciderait et on le ferait.
Lâcher-prise sur quoi ?
Avant de considérer ce qui peut nous empêcher de lâcher-prise, j’ai envie de vous poser ces questions :
Qu’est-ce que vous ne lâchez pas ? Qu’est-ce que vous retenez ? Que voulez-vous absolument contrôler ? Qu’est-ce que vous refusez de laisser aller ?
Est-ce une relation, une situation, un point de vue, un travail, un évènement passé… ?
Pour moi, il y a deux aspects dans le lâcher-prise.
Le premier, c’est le contrôle !
De mon côté, j’ai mis un certain temps à accepter que je n’aie pas le pouvoir de tout contrôler. Alors, si vous faites aussi partie des personnes-qui-aimeraient-bien-pouvoir-tout-contrôler-et-que-tout-se-passe-toujours-exactement-comme-vous-l-avez-décidé, je vous recommande de considérer la situation qui vous pose une difficulté par rapport au lâcher-prise.
Pour cela, vous pouvez faire une pause, vous isoler, prendre un temps pour vous recentrer sur les sensations du corps et respirer (vous avez des audios sur ma chaine YouTube ou dans les premiers épisodes du podcast).
Puis pensez à votre situation et identifiez, d’une part, ce qui dépend de vous et d’autre part, ce qui ne dépend pas de vous. Parce que vous ne pouvez agir que sur ce qui dépend de vous. Ça a l’air évident, mais quand on est pris dans son problème, d’autant plus quand on a ce besoin de contrôle, ce n’est parfois difficile, justement, de discerner l’un de l’autre.
Par exemple, nous ne pouvons pas contrôler ce que les autres pensent, leurs émotions, leurs choix, leurs comportements, leurs avis, leurs réactions, le contexte économique, ce qui se passe à l’autre bout du monde, les évènements extérieurs (comme un confinement, des bouchons, le retard du train) et aussi, la météo, le futur, le passé.
En revanche, nous pouvons agir sur ce que nous disons, ce que nous pensons, là où nous portons notre attention, ce en quoi nous croyons, ce que nous écoutons, les interprétations que nous faisons, nos jugements, nos comportements, nos décisions, nos choix, l’importance que nous donnons aux choses, ce que nous apprenons de nos expériences.
Certaines fois, nous mettons notre énergie à tenter d’agir sur quelque chose qui ne dépend pas de nous. C’est alors comme nager contre le courant. Lâcher-prise ici, c’est reconnaitre que nous n’avons pas le contrôle sur tout, et de réfléchir à, comment faire autrement et cesser de s’épuiser ?
Et puis, parfois, on a beau le savoir, on a beau en avoir conscience, on a beau faire la différence entre ce qui dépend de nous ou non, on continue quand même à se fatiguer à nager contre les vagues ?
Les émotions qui rendent le lâcher-prise difficile
Pourquoi il arrive que ce soit vraiment si difficile de lâcher-prise ?
Parce que, derrière une difficulté à lâcher-prise, comme derrière un besoin de contrôle, il y a souvent des peurs.
Quand on parle peur de perdre le contrôle, il peut y avoir derrière, une peur de l’inconnu, de ce qui pourrait arriver si les choses ne se déroulent pas comme prévu. La peur de ne pas être capable de gérer les conséquences d’une situation, tous les changements que ça peut impliquer, si l’on ne contrôle pas tout.
Derrière une difficulté à lâcher-prise, il peut également y avoir une peur du jugement, celui des autres sur soi, mais aussi, de son propre jugement que l’on va porter sur soi-même. Par exemple, si on lâche prise sur des attentes, des comportements, des responsabilités, un niveau d’exigence. Ça peut entacher l’image qu’on va avoir de soi.
Ça peut aussi être la peur de perdre des relations, des objets, des conditions, des idées, une conception de la vie, des habitudes agréables, des souvenirs…
Aussi, peut se cacher derrière une difficulté à laisser aller, une peur de se sentir et de se montrer, vulnérable. Ou encore, d’être submergé par des émotions.
Bien sûr, ces peurs sont généralement inconscientes.
Il y a plein de raisons individuelles et personnelles, derrière une difficulté à lâcher-prise. Et en fonction du contexte, de votre situation, de vos peurs, les pistes de travail sont diverses et variées : manque de confiance, attachement émotionnel, perfectionnisme, anxiété, traumatisme…
Si c’est difficile de lâcher-prise et que vous sentez que là, vous en avez pourtant besoin, faites-vous accompagner.
Mieux se connaître
Je ne sais pas si le lâcher-prise est quelque chose que l’on peut acquérir une bonne fois pour toutes. Je ne le crois pas et je ne suis pas sûre que ce soit toujours nécessaire et profitable. D’ailleurs, ne rien lâcher, c’est aussi ce qui permet de faire avancer des causes.
En revanche, travailler sur nos peurs, modifier nos fonctionnements automatiques, permettent de mieux se connaitre, d’identifier les moments où ça coince et à aller retrouver plus vite son équilibre. On peut plus facilement choisir de lâcher ou non. On reprend son pouvoir et sa responsabilité. C’est ce que l’hypnose et la sophrologie peuvent vous aider à faire par exemple.
Pour finir je vous partage une citation. Elle est attribuée à Hermann Hesse :
‘Beaucoup d’entre nous pensent que tenir le coup nous rend plus forts ; mais parfois, c’est le fait de lâcher prise.’
Hermann Hesse
Besoin de lâcher-prise ? Nous pouvons en parler :
Cet article est issu du podcast ‘Souriez, nous stressons !’ en écoute sur la page dédiée ou sur votre plate-forme d’écoute habituelle.